Festival: Paléo se frotte aux piments de Californie - Culture

Paléo a connu son lot de légendes rock, apparues dans les années 60 en même temps que les fondamentaux joyeusement hippies de ses fondateurs. Pour la génération suivante, l’affaire était moins claire: quel groupe formé au cours de la décennie 1980 est désormais comptable d’une activité ininterrompue et d’un succès assez solide pour toujours atteindre les stades en 2017? Bon Jovi. Et les Red Hot Chili Peppers. En accueillant ces derniers en ouverture de sa 42e édition, le festival nyonnais fait revenir en terres romandes un groupe de tous les extrêmes, 29 ans après son concert à la Dolce Vita lausannoise. Petit vade-mecum avant le premier coup de pelvis du bassiste Flea, mardi à 23 h 30. Pétantes.

Californication

Les «kids de Fairfax High», les «boys de Hollywood», les virées sur Sunset Boulevard, la plage de «Venice Queen», les canyons derrière la Cité des Anges et la mort qui rôde sous les ponts, Downtown L.A., là où le chanteur Anthony Kiedis plantait sa seringue. Nés à Los Angeles, les Red Hot Chili Peppers en sont l’incarnation la plus pure, couplant dans leur histoire les extrêmes paradoxaux de la mégapole californienne: mer et désert, nature et béton, calme et vitesse, utopie libertaire et violence capitaliste, hygiène végane et drogues à gogo… Depuis The Doors et Randy Newman, peu d’artistes avaient à ce point intégré à leur lexique la géographie et les mœurs de la ville ou de son Etat. En témoignent des chansons comme Out in L.A. , Under the Bridge , Hollywood (Africa), Dani California jusqu’à la métaphore suprême de Californication – et pourquoi pas l’ode à Magic Johnson, alors star des L.A. Lakers! Avant un monde globalisé, les Red Hot ont porté ce souffle «exotique» de la cité du Pacifique, de ses fantômes hippies, de ses stars recluses et de son autodestruction programmée.

L’art improbable du tube

Bien que signés sur EMI dès le premier disque en 1984, les Red Hot ont représenté une forme de rock loin des canons commerciaux, rameutant funk, punk, rap et heavy metal et inventant contre leur gré l’étiquette «fusion» qui fit florès au début des années 90. Contre toute attente, Under the Bridge, leur première ballade – sur leur cinquième album, Blood Sugar Sex Magik – devient un tube mondial en 1991, porté par la guitare mélancolique de John Frusciante et les paroles sincères de l’alors ex-junkie Kiedis. Chaque album contiendra ensuite son hit peu ou prou électri que, le plus énergique restant Can’t Stop en 2003, au point qu’Ernesto Bertarelli le poussait à coin pour motiver son team Alinghi durant la Coupe de l’America. Efficace.

«Les junkies les plus musclés»

Dans sa biographie (Scar Tissues, «cicatrices»), Anthony Kiedis ne s’en cache pas: son paternel était le dealer du Tout-Hollywood seventies. A 10 ans, le fiston fumait de l’herbe, à 12 il se mettait à la coke, à 14 à l’héroïne. Malgré leur physique de surfeurs qui leur avait valu le titre de «junkies les plus musclés d’Amérique», les Red Hot ont conjugué leur longue histoire avec l’abus de drogues dures: le premier guitariste, Hillel Slovak, mourra d’overdose en 1988, le second, John Frusciante, quittera le navire pour six années de réclusion narcotique, avant de le rejoindre (puis de repartir). Le statut de survivant n’est pas une vue de l’esprit dans le cas d’un groupe qui se défonce désormais au lait de soja.

Virtuoses peu vertueux

Derrière le muscle et le fun, il y a chez les Red Hot Chili Peppers une virtuosité musicale incarnée par Flea, dont l’emploi du slap (méthode venue du funk qui consiste à pincer et frapper les cordes) a motivé toute une génération de bassistes après la sortie de Mother’s Milk (1989). A la batterie, Chad Smith maîtrise frappe, groove et subtilité. Les guitaristes n’ont pas démérité, avec en génie définitif le souvenir de John Frusciante, qui conciliait à tout juste 19 ans l’âme et la technique de cent pionniers blues et funk, dont les échos font la qualité insurpassable de Blood Sugar Sex Magik. Dave Navarro, qui lui succéda entre 1994 et 1996, n’est pas le dernier des bras cassés. Aujourd’hui, Josh Klinghoffer, 37 ans, s’impose toujours plus en concert. A vérifier mardi sur l’Asse.


«Notre objectif, ce n’est pas de faire de l’argent»

«Paléo n’est pas à vendre», «Paléo défend son identité», «Paléo n’a de compte à rendre à aucun actionnaire». Dans la bouche de Daniel Rossellat, directeur de l’open air géant, les mots ne manquent pas pour distinguer la manifestation de ses concurrents. L’Openair Frauenfeld vient d’être racheté par le trust nord-américain Live Nation. Il y a du business dans l’air, une odeur de commerce libéral qui traverse l’été des festivals. Alors, Paléo prend position. Et c’est de bonne guerre. Après tout, Paléo n’est pas un piètre commerçant, loin de là.

«Pour Paléo, l’argent est un moyen, pas une fin. Notre objectif, contrairement à d’autres, n’est pas de faire de l’argent, nous ne cherchons pas la rentabilité», poursuit le capitaine d’un des plus grands festivals d’Europe. Lequel s’y connaît parfaitement en business model, mention bon sens paysan: ne jamais s’emballer trop vite, toujours savoir thésauriser pour les mauvais jours. Si la santé financière de Paléo reste bonne, et sa gestion exemplaire, l’arrivée dans le paysage de Live Nation empire une situation déjà difficile: la Suisse regorge de festivals, qui plus est généralistes comme Paléo. Et tous ne peuvent raisonnablement prétendre survivre. Daniel Rossellat en est conscient: «On va vers une uniformisation des propositions. Dans ce cas, ce qui fait l’attrait d’un festival réside dans le cadre, dans l’accueil. C’est le cas de Paléo, qui propose largement plus que des concerts.»

Starbucks contre les cafetiers artisans, les géants de la bière contre les petits brasseurs: les comparaisons abondent pour expliquer comment, face au tout-venant des open air, Paléo entend se distinguer: «Si dix restaurants proposent des filets de perche, on choisira de préférence celui qui allie la beauté du cadre, la qualité des produits et le patron qui vient vous serrer la main.» La décoration de Paléo, ses 7500 sièges à disposition du public, ses stands culinaires, son Village du Monde (gros plan sur l’Amérique centrale cette année) ou encore La Ruche et ses artistes de rue – 10e édition – contribuent à soigner l’emballage. «La Ruche, insiste Daniel Rossellat, ne vend aucun billet en plus. Et les tarifs du festival restent abordables, 50% de moins que pour une manifestation devant rendre des comptes à des actionnaires.»

A propos de billetterie, Paléo a pris les devants: voilà une quinzaine d’années que le festival vend lui-même ses billets en collaboration avec Ticketcorner. De quoi anticiper sur la probable arrivée, ces prochaines années, de Ticketmaster, filiale de Live Nation.

Fabrice Gottraux (TDG)

Créé: 17.07.2017, 21h45

Quelle:

www.tdg.ch

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